L’Asie du Sud-Est s’invite dans l’actualité de ce début d’année avec l’admission express de l’Indonésie aux BRICS. Quand on connaît l’influence de la Chine au sein du groupe, il serait facile d’interpréter cette adhésion comme le signal d’un rapprochement entre Jakarta et Pékin, aux dépens des Etats-Unis. Spoiler : c’est plus subtil que ça. Bonne lecture !
L’adhésion de l’Indonésie aux BRICS signale l’ambition indonésienne de s’imposer comme leader du Sud Global
Le gouvernement brésilien a annoncé lundi 13 janvier l'adhésion officielle de l'Indonésie aux BRICS. L'admission de Jakarta intervient moins de trois mois après que le ministre indonésien des Affaires étrangères, présent au sommet de l'organisation en Russie en octobre 2024, a exprimé la volonté de son gouvernement de rejoindre le groupe.
La candidature de l'Indonésie avait en fait déjà été approuvée par le bloc en 2023, mais le président Joko Widodo avait choisi à l’époque de ne pas poursuivre le processus. Sa décision avait alors été interprétée comme cohérente avec la méfiance historique de Jakarta envers des coopérations trop engageantes, doublée d'une incertitude quant aux potentiels bénéfices économiques de cette adhésion.
Le revirement opéré par la nouvelle administration signale-t-il donc une évolution de la politique extérieure indonésienne ? Au contraire, si l'on en croit le ministre des Affaires étrangères Sugiono, « l’adhésion de l'Indonésie aux BRICS est une expression de la politique étrangère indépendante et active (bebas dan aktif) de l'Indonésie ». Sugiono souligne d'ailleurs que, parallèlement à son adhésion aux BRICS, l'Indonésie est engagée dans des discussions pour rejoindre l'OCDE et a candidaté pour intégrer le CPTPP (Comprehensive and progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership), deux organisations comptant des puissances occidentales parmi ses membres.
L’adhésion aux BRICS témoigne surtout de l'objectif indonésien de renforcer ses collaborations avec d'autres nations du Sud Global, parmi lesquelles Jakarta ne se cache pas de vouloir exercer un certain leadership. Si le ministère des Affaires étrangères explique dans un langage diplomatique parfaitement maîtrisé que « les BRICS offrent une plateforme précieuse pour promouvoir la coopération Sud-Sud et garantir que les voix et aspirations des pays en développement soient entendues et reflétées dans les processus décisionnels mondiaux », le candidat Prabowo n'avait quant à lui pas caché son ambition, dès la campagne présidentielle, d'élever le statut de l'Indonésie au rang de puissance globale, au-delà du cénacle de l’ASEAN dont les blocages structurels -en particulier relatifs à la crise birmane- sont source d’importantes frustrations à Jakarta. Devenu président, Prabowo s'est donc montré particulièrement proactif pour renforcer les liens avec les pays du Sud global. Outre la Chine, à qui il a réservé son premier voyage officiel (immédiatement suivie des États-Unis), Prabowo s’est rendu en Russie, au Brésil, en Égypte, en Malaisie, au Pérou, et aux Émirats Arabes Unis (ainsi qu'au Japon, en Australie, en France et au Royaume-Uni). Il sera en Inde du 24 au 26 janvier, où il participera aux célébrations de la fête nationale.
L’adhésion aux BRICS et ce qu’elle semble signaler de prise de distance avec les États-Unis, pourrait aussi être motivée par des objectifs de politique intérieure, à un moment où le soutien occidental à Israël est particulièrement mal perçu par la population indonésienne, majoritairement musulmane.
Une plateforme alternative à forte attractivité pour les moyennes puissances de l’ASEAN
L'Indonésie n'est pas le seul État membre de l'ASEAN à vouloir rejoindre les BRICS : la Malaisie et la Thaïlande, actuellement "pays partenaires" de l'organisation, ont également exprimé leur intérêt à en devenir membres de plein exercice.
L'attractivité exercée par le groupe sur ces pays d'Asie du Sud-Est peut surprendre : la structure informelle des BRICS peut faire douter de sa capacité d’influence sur la scène internationale, tandis que les avantages économiques d'une adhésion semblent pour le moins incertains, en raison de la faible intégration des économies sud-est asiatiques avec celles des autres membres, en dehors de l'Inde et la Chine, avec qui elles sont déjà liées par d'autres accords.
L'attrait des BRICS sur la Thaïlande et la Malaisie réside finalement plutôt dans l’opportunité de se distinguer en tant que leadersparmi les pays émergents, tout en offrant une alternative aux institutions dominées par les États-Unis, fréquemment critiqués par le Premier Ministre malaisien Anwar Ibrahim, qui n'a pas caché sa frustration face aux supposés doubles standards occidentaux concernant les conflits en Ukraine et à Gaza.
L'acronyme BRICS désigne une organisation intergouvernementale initialement composée de cinq pays : le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud (qui a rejoint le groupe en 2010) et visant à promouvoir la coopération économique, politique et culturelle entre ses membres. Le groupe fonctionne sans charte ni secrétariat. BRICS+ est utilisé de manière informelle pour inclure les cinq pays ayant adhéré depuis 2023 : l’Égypte, l'Éthiopie, l'Iran, les Émirats arabes unis et l’Indonésie.