Rétrospective 2024 (2/2)
Les grandes lignes de l'actualité politique et internationale en Asie du Sud-Est en 2024
In extremis avant la fin de l’année, voici la deuxième partie de cette rétrospective !
Au menu de la lettre du jour : changement de leadership au Viêt Nam, enlisement du conflit au Myanmar, Trump 2.0 et présidence malaisienne de l’ASEAN.
Bonne lecture, et à l’année prochaine :-)
Juliette
Viêt Nam : changement de leadership, pas de cap
Le Secrétaire général du Parti communiste vietnamien, Nguyen Phu Trong, est décédé le 19 juillet à l'âge de 80 ans. Le président To Lam lui a succédé, qui a lui-même été remplacé par le général et membre du Politburo Luong Cong.
Nguyen Phu Trong s'est efforcé au cours de son mandat de renforcer le contrôle du parti communiste sur le système politique vietnamien, au travers notamment d'une campagne de lutte contre la corruption particulièrement agressive. Certains observateurs notent d'ailleurs que celle-ci aurait plutôt entraîné une érosion des institutions au sein du parti et contribué à désorganiser l'administration. Depuis deux ans, des scandales visant la présidence et plusieurs ministères ont ainsi suscité deux changements à la tête de l'État, provoquant une onde de choc parmi les fonctionnaires de rang inférieur.
Trong a également joué un rôle important dans l'élaboration de la politique étrangère du Viêt Nam en introduisant le concept de « diplomatie du bambou » en 2016, dont la principale caractéristique est de maintenir l'indépendance et l'autosuffisance du pays, en mettant en oeuvre réformes économiques et modernisation militaire, et en maintenant des liens étroits avec toutes les grandes puissances : États-Unis, Chine et Russie, dont les chefs d’État se sont succédés à Hanoï entre septembre 2023 et juin 2024.
Son successeur, To Lam, ne devrait pas changer de cap, ainsi qu’en témoignent ses premiers voyages en tant que secrétaire général du parti : après s’être rendu en Chine, il s’est envolé pour New York en septembre, où il est intervenu lors du Sommet de l'avenir des Nations unies et a rencontré un certain nombre de personnalités, dont le président américain Joe Biden. To Lam a par ailleurs profité de son séjour pour recueillir le soutien des milieux d'affaires et promouvoir des partenariats entre entreprises américaines et vietnamiennes dans des domaines stratégiques tels que les micro-processeurs, les hydrocarbures, l'aviation et l’intelligence artificielle.
Myanmar : enlisement du conflit et médiation chinoise
Le conflit au Myanmar a viré à la guerre civile totale avec l’implication des organisations armées ethniques (EAOs), devenues principales belligérantes, en plus de la branche armée du National Government Unity, le People’s Defense Front (PDF). Les EAOs présentes au Nord et à l’Est, principalement la Kachin Independence Army, la Myanmar National Democratic Alliance Army (MNDAA) et la Ta'ang National Liberation Army (TNLA) - les deux dernières appartenant à la Three Brotherhood Alliance (TBA) - ont remporté d'importantes victoires militaires cette année. Si l’armée s’est repliée vers le centre du pays, elle a poursuivi les bombardements aériens (touchant principalement des civils) dans les régions où elle connaît le plus de difficultés. A l’Ouest, l'Arakan Army, troisième membre de la TBA, a quasiment expulsé le régime de plusieurs endroits de la région de Rakhine. Les combats semblent cependant raviver les tensions communautaires entre les Rakhine et les Rohingya.
Les quelques tentatives de résolution du conflit, dont aucune n’a pour l'instant permis d’avancées significatives, ont mis en lumière les intérêts et les capacités d’action des puissances régionales. Le bilan du dernier sommet de l’ASEAN, auquel le Myanmar a pourtant accepté, pour la première fois depuis 2021, d’envoyer un représentant non-politique (en l’occurence issu du ministère des affaires étrangères) était particulièrement décevant. La Thaïlande et l’Indonésie se sont alors imposées à côté de l'Association pour organiser, en fin d’année, des rencontres avec la junte et des représentants de l’opposition. Mais ce sont les interventions chinoises, plus ou moins couvertes, qui semblent avoir eu le plus d'effet sur le déroulement des combats : les opérations de la TBA dans le Nord du pays semblent en effet avoir largement bénéficié du soutien tacite de Pékin. Or la Chine semble désormais vouloir réorienter son support vers le régime : après avoir rencontré le chef des armées et désormais président de facto Min Aung Hlaing en août et à nouveau en novembre, les autorités chinoises ont proposé d’établir une entreprise de sécurité conjointe qui faciliterait le déploiement de compagnies de sécurité privées chinoises au Myanmar. Cette proposition semble directement liée à la perception, par la Chine, que ses intérêts ne sont plus protégés à la frontière ni dans les régions accueillant des projets stratégiques tels que le Myanmar-China Economic Corridor. Ce retournement pourrait expliquer en partie les récentes annonces de la MNDAA et de la TNLA, qui se déclaraient début décembre disposées à entamer des pourparlers avec le régime.
Ce qui aura notre attention en 2025
Donald Trump et l’Asie du Sud-Est, deuxième saison
L’élection de Donald Trump à la présidence américaine aura nécessairement des répercussions sur les dynamiques régionales, dont la nature et l’ampleur restent toutefois difficiles à prédire.
Une préoccupation majeure tient bien sûr à la relation de la future administration avec la Chine, marquée par le risque qu’une politique trop antagoniste dégénère en conflit entre les deux super-puissances. A contrario, les tendances isolationnistes de Donald Trump et son aversion pour les alliances militaires pourraient déstabiliser le réseau de défense dont dépendent les Philippines.
Une deuxième source d’inquiétude vient de la promesse du candidat Trump d'augmenter les droits de douane. Les économies d'Asie du Sud-Est, dont la plupart sont tournées vers l'exportation, risquent ainsi de voir leurs échanges avec les États-Unis diminuer. De telles mesures pourraient affecter le développement des économies régionales cherchant à se tourner vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée, comme l'Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande et le Viêt Nam.
Présidence malaisienne de l’ASEAN
La Malaisie prendra la présidence de l’ASEAN au 1er janvier 2025, donnant l’occasion de s’intéresser de plus près aux récentes évolutions de politique extérieure portées par Anwar Ibrahim. Remonté contre les puissances occidentales, dont il critique sévèrement la posture au Moyen-Orient, il s’est rapproché de ses homologues russe et chinois, tout en affichant clairement sa volonté de rejoindre les BRICS. Si la Malaisie voudra probablement maintenir la neutralité de l’ASEAN, en veillant à ce que ses relations avec les grandes puissances restent équilibrées, Kuala Lumpur pourrait aussi utiliser sa présidence comme plateforme pour faire avancer ses objectifs et entraîner l’Association vers plus de partenariats au sein du Sud Global.